Mais qui donc est Néron ?

Audience le mag
Le succès confirmé, salué par tous les commentateurs, de ce qu'il est convenu d'appeler les jeux télévisés, repose sur un fier paradoxe
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Car à l'exception de ceux qu'on dénomme participatifs (Star Ac, Nouvelle Star, etc. où les téléspectateurs sont invités à désigner par leur vote le gagnant et/ou le perdant), dans la plupart des jeux le public ne joue pas. Il faudrait plutôt parler de spectacle ludique, ou même de voyeurisme lorsque le jeu s'acoquine avec la télé-réalité, comme avec Total Wipe Out lancé par M6 au début de l'été 2009.

Etant admis que le téléspectateur de base ne fait en général pas partie du jeu, et ne s'y implique que par identification / projection, il faut s'interroger sur la nature des ressorts assez puissants pour attirer son attention, la retenir et la fidéliser. Les chiffres sont là. Les J.T. mis à part, les jeux télévisés sont le type d'émission qui présente de loin le meilleur ratio entre la part que les chaînes lui consacrent dans leur gille - l'offre - et la part que les téléspectateurs lui accordent dans leur durée totale d'écoute - la consommation. L'indice atteint ainsi 193, avec 10,4% de l'audience totale toutes chaînes confondues comparée à une offre de jeux qui s'établit à 5,4% du temps d'antenne. A telle enseigne que les responsables de programmes ont tendance à voir dans les jeux télévisés la solution miracle qui répare les pannes d'audience. Les jeux, pour les chaînes, sont rentables ; ils coûtent peu par comparaison au lourd budget de production d'une fiction, et peuvent rapporter beaucoup en audience et donc en recettes publicitaires.

Commençons donc par nous intéresser au mécanisme de l'offre avant de vérifier - c'est le travail de Médiamétrie - comment et pourquoi réagit la demande, c'est-à-dire le public.

Tous les jeux sont violents

Une métaphore est fréquemment utilisée par la presse pour parler des jeux télévisés : celle qui les assimile aux cruels divertissements de la Rome antique. « Panem et circenses ». Du pain et des jeux. La télévision ne procure pas de pain, elle donne seulement à consommer le temps, ce qui peut-être revient au même quand il s'agit de distraire les masses populaires de leurs soucis. En revanche elle organise bel et bien des jeux du cirque, et sur le même modèle. La métaphore est juste en fin de compte. Partons de ce constat qui peut choquer : tous les jeux télévisés sont violents d'une façon ou de l'autre, et tous sont mortels puisqu'ils reposent sur l'élimination des perdants - qu'on n'exécute pas mais qu'on retire du plateau - les gagnants n'étant que des rescapés. C'était déjà clair dans le Maillon faible où si longtemps Laurence Bocolini tenait l'emploi de la bourrelle, celle qui baissait le pouce vers le sol après avoir copieusement sadisé les compétiteurs. Avec beaucoup de second degré il est vrai.

Sur ce fond de cruauté symbolique, le jeu a besoin de trois éléments fondamentaux : un enjeu élevé (que son mécanisme même peut rendre de plus en plus fort, comme dans Qui veut gagner des millions), des victimes consentantes et un animateur charismatique, à qui est réservé le soin de pimenter le cocktail. Jean-Pierre Foucault, archétype de l'animateur, facsine dans ce rôle : cordial, affectant d'aider le candidat en difficulté, mais jouant volontiers de son angoisse et faisant durer le plaisir lorsqu'un résultat est attendu, il est l'incarnation aimable du destin qui s'amuse des hommes. A des titres divers, Nagui, Arthur, Julien Lepers, Jean-Luc Reichman, Christophe Dechavane, d'autres remplissent le même office avec plus ou moins de talent.

Quant aux candidats, il en est de bons et de moins bons : cela dépend de leur capacité à donner à ressentir leurs réactions aux aléas qu'on leur inflige. Globalement ils ont tendance à s'intégrer à la dramaturgie, à se faire complice de l'animateur, à sortir finalement de leur rôle pour devenir à leur tour plus ou moins acteurs, pour un jour ou un mois. Comme preuve, la polémique déclenchée autour de L'île de la tentation. Il est vrai que pour beaucoup d'entre eux, la recherche de notoriété est une de leurs motivations principales.

Ne pas se tromper sur le rôle de l'argent

Revenons sur les enjeux. Comme on sait, les jeux télévisés se répartissent en trois grandes catégories : les quiz ; les jeux d'aventure plus ou moins teintés de télé-réalité ; et ceux qu'on pourrait appeler les jeux de talents.

Les premiers permettent aux candidats de s'affronter sur des questions de culture cultivée et/ou populaire.

Les seconds mettent les concurrents aux prises avec eux-mêmes et/ou avec leurs adversaires face à des épreuves de tous ordres, qu'il s'agisse de vaincre les dangers de la jungle, de se mesurer à ses propres phobies ou de lutter contre le serpent qui, dit-on, fit chasser notre mère Eve du paradis terrestre.

Les troisième, les jeux de talents, sont fondés sur l'aptitude des compétiteurs-trices à pousser la chansonnette et à crever l'écran par leur physique, leur implication, leur culot.

En facteur commun, l'argent. Il est toujours présent comme récompense pour les gagnants et qui parfois même peut constituer à lui seul le thème du jeu. C'est l'un des ingrédients incontournables qui dramatise le jeu et pimente l'enjeu. Le téléspectateur est tenu en haleine ! Car il se projette dans ce « combat » où quelquefois l'argent se gagne, mais souvent se perd.

Pourtant, on se tromperait en faisant de l'argent le seul moteur du succès des jeux télévisés. Côté quiz, le plaisir de participer dans son fauteuil à la compétition, d'essayer de trouver lui-même les réponses et de s'auto-valoriser quand c'est réussi, compte beaucoup pour le téléspectateur, qui passe sa propre culture au banc d'essai. C'est vrai pour Les chiffres et les lettres, pour Questions pour un champion, davantage encore pour Qui veut gagner des millions, et aussi pour Etes-vous plus fort qu'un élève de 10 ans ?. Chacun participe à l'examen, quitte à découvrir que son cerveau s'encrasse ou que ses acquis scolaires laissent à désirer.

Les dieux de l'Olympe télévisuel

Côté jeux d'aventure et autres, le phénomène est plus complexe. On y trouve toute la gamme des émotions. Et l'intérêt du jeu, pour le téléspectateur, repose toujours plus ou moins sur le plaisir qu'il éprouve au spectacle de la comédie humaine. Un théâtre en somme, à ceci près que les participants sont censés ne pas être des acteurs (on a vu ce qu'il en est) mais des sujets d'observation - télé-réalité ou pas. Comment les compétiteurs se débrouillent face à un environnement hostile (Koh-Lanta) ou inhabituel (la Ferme Célébrités) ; ou quand on met à l'épreuve leur capacité à réagir dans un minimum de temps aux défis d'une énigme (Chasse aux trésors). Comment aussi ils peuvent aller au-delà de leurs forces (Fear Factor) ; ou triompher de leurs aversions (Fort Boyard) ; utiliser leur séduction pour gagner une fortune (L'île de la tentation, le Bachelor, Greg le Millionnaire) ; mettre leur talent à l'épreuve du public (Star Académy ou la Nouvelle star). Avec une mention particulière pour le Loft, summum de la télé-réalité, qui transforme les candidats en animaux de laboratoire.

Quant aux jeux dits de talent, ils permettent au téléspectateur d'accéder à l'univers onirique du show-biz et de se rêver, avec le candidat, en train de sortir de l'anonymat et promu d'un coup de baguette magique au rang des stars - des Olympiens.

Dans tous ces cas de figure, le téléspectateur s'identifie à l'on ne sait quel dieu qui, depuis son Olympe, regarde paresseusement s'affairer les petits hommes ; s'intéresse à leurs émotions ; vibre à leurs dangers ou à leurs succès ; et même peut se moquer méchamment de leurs mésaventures. A cet égard, et qu'il s'agisse ou non d'un jeu de plateau, le spectacle télévisé délimite un univers clos, où règne la loi sévère du genre.

Les femmes, les inactifs, les plus de 60 ans

Voilà pour l'univers symbolique. Mais qu'en est-il des réalités de l'écoute ? Autrement dit, comment la « demande » réagit-elle à ce système d'offre ? Au-delà du constat global, signalé précédemment, de l'efficacité des jeux comme moteur d'audience, les enquêtes de Médiamétrie mettent en évidence diverses caractéristiques de la population ludophile :

  • Elle est à dominante fortement féminine : 62,1% sur l'ensemble TF1, France 2, France 3, M6.
  • Cette prépondérance féminine est en relation avec le taux de présence au foyer, plus important chez les femmes que chez les hommes, notamment dans la première partie de la journée. Le profil par âge des consommateurs des jeux recoupe la présence au foyer : les plus de 60 ans occupent en effet une place importante dans l'audience des jeux : globalement 44% sur les 4 chaînes mais avec des niveaux bien différents selon les chaînes. Le pourcentage de consommateurs de jeux âgés de plus de 60 ans, qui n'est que de 21,8% pour M6, et qui frôle la moyenne pour TF1 et France 2 - respectivement 41,8% et 46,3% - atteint la proportion phénoménale de 79,5 % sur France 3. Il est vrai avec des jeux de natures différentes d'une chaîne à l'autre.
  • Le fait de consommer des jeux télévisés entre en corrélation avec la CSP individuelle : c'est ainsi que sur les quatre chaînes, 57,7% des spectateurs de 15 ans et plus sont inactifs, proportion à peu près analogue pour TF1 (56,6) et France 2 (59,6) mais très différente pour M6 (39,7) et surtout pour France 3 (84,5).
  • Le taux d'efficacité chaîne par chaîne (indice de consommation/ indice d'offre), se monte à 125 pour l'ensemble des quatre chaînes, mais se révèle très différent d'une chaîne à l'autre : ici encore France 3 cartonne avec un taux d'efficacité de 178,6, suivie par TF1 (161,2), France 2 (119,1) et M6 (85,7). On peut constater que l'efficacité n'est pas homogène, en liaison il est permis de le supposer, avec la politique de programme de chaque chaîne.
  • Enfin, les performances des programmes de jeux sont à relativiser en fonction de la place qu'ils occupent dans la grille : il semblerait que la tranche horaire de l'après midi (17heures/20 heures) soit particulièrement payante. France3 y loge 88,7% de son temps d'antenne consacré aux jeux ; TF1 42,1%, France2 21%, M6 16,3%.

On constate que le succès des jeux télévisés est à mettre en relation avec trois éléments interdépendants :

  • La disponibilité de la cible liée au statut sociodémographique (sexe, âge) et socioprofessionnel (actifs, inactifs)
  • La programmation horaire : en Day time (les Zamours, Attention à la marche) ; en access prime time (Questions pour un champion, La roue de la fortune, N'oubliez pas les paroles) ; ou en prime time (Nouvelle Star, Star Académy).
  • Le positionnement stratégique de la chaîne : il est clair que France 3 et TF1 investissent davantage dans les jeux que France 2 et surtout M6.

C'est dans ce cadre que s'inscrit la relation dialectique offre/demande, sur un créneau où les performances « historiques » ne manquent pas. Koh-Lanta, un jeu d'aventure a rassemblé jusqu'à 9,1 millions de téléspectateurs pour TF1 ; N'oubliez pas les paroles, un jeu de plateau, arrive loin derrière, avec tout de même 4,9 millions de consommateurs de jeux pour France 2, il est suivi de très peu par Nouvelle Star sur M6, un jeu de talents qui a rassemblé 4,7 millions de mordus. Il n'est pas jusqu'à l'inamovible Question pour un Champion, le quiz des quizs, qui ne performe sur France 3 avec 3,7 millions de fans.

Des jeux pas comme les autres

Le jeu est éternel. Les enfants jouent. Les animaux jouent ; les primates vont jusqu'à exprimer le plaisir qu'ils y trouvent par une expression faciale qui ressemble à un rire. Et l'Histoire conserve la trace des protocoles successifs que les hommes ont inventés pour satisfaire leur besoin ludique - un besoin à la fois physiologique (se dépenser) et psychologique (l'emporter sur le hasard ou sur les adversaires). De la pratique de la soule, une balle de chiffons que l'on se disputait à coups de pieds dans les rues des villages jusqu'au football et au rugby modernes, du jeu de paume au tennis, du whist au poker et au bridge, les exemples sont nombreux. Ce que notre époque apporte de nouveau, et de profondément différent, grâce à la télévision et aux médias audiovisuels, c'est l'universalisation des jeux.

L'attention et le temps d'antenne qui leur sont consacrés non seulement exercent un rôle d'entraînement et attirent un nombre croissant d'adeptes, mais surtout fournissent aux joueurs un public immense, dont la taille renforce considérablement les enjeux. Ainsi pour les Jeux Olympiques, la Formule 1, le Tour de France etc. Ce phénomène d'amplification va jusqu'à modifier le sens du rituel. Car le jeu qui par nature est disjonctif, pour reprendre l'expression de Levi-Strauss - en ceci qu'il a pour finalité de désigner parmi des compétiteurs égaux en principe, un (des) gagnant(s) et un (des) perdant(s) - devient largement conjonctif en rassemblant à travers le monde ces publics démesurés.

Toute une école de pensée (Huizinga, Mauss, Caillois) en est venue à considérer que le jeu est présent dans quasiment toutes les activités humaines : la guerre, la politique, la Bourse...D'ailleurs ne parle-t-on pas de wargames ou de kriegspiel ? Le débat politique ne fait-il pas appel à des stratégies qui rappellent les jeux de talents - échecs, bridge, poker ? Et la crise boursière dont l'occident vient d'être victime ne ressemble-t-elle pas à la fin malheureuse d'une phénoménale partie de roulette ?

La particularité des jeux télévisés, dans cet univers de plus en plus ludique, est qu'ils organisent leurs propres liturgies. De simple diffuseur, le média TV devient ici fondateur de culte. Les jeux qu'il institue répondent à toutes les règles du genre : ils se déroulent dans un espace à part - l'espace virtuel de la télévision ; ils s'inscrivent dans un laps de temps spécifique, découpé en séquences programmatiques ; ils obéissent à un ensemble propre de lois, codifié avec précision.

Pourtant, une différence essentielle marque les jeux télévisés. Les théoriciens des jeux spécifient que ceux-ci constituent une fin en soi et que le joueur joue pour jouer, pratiquant une activité superfétatoire, superflue et improductive par définition, même si le « tapis » est intéressé par des enjeux financiers. Autrement dit, les jeux sont toujours à somme nulle, psychologiquement et même matériellement parlant : il n'en sort rien de plus que ce qu'on y introduit. Aucune création, aucun échange, aucun apport à la communauté.

Or les jeux télévisés produisent, et même beaucoup, dans la mesure où en raison de leurs succès d'audience ils constituent un vecteur publicitaire important et donc participent au bon fonctionnement d'un marché fertilisateur par définition de la vie économique. Apporteurs d'audience ils sont générateurs de profit, sinon pour les joueurs qui en effet ne profitent de rien d'autre que de leur plaisir, du moins pour les annonceurs et plus largement pour la collectivité.

Tous jeux sont d'argent, au bout du compte.

Jean Mauduit

L'international : riche enseignement

Il n'est pas sans intérêt d'observer ce qui se passe sur le marché international. L'analyse qu'en fait Nota (service coproduit par Médiamétrie / Eurodata TV et IMCA) fait apparaître six grandes tendances

L'immixtion déjà ancienne de la télé réalité dans les jeux de plateau : Who Wants to be a Millionnaire (UK 1998), Weakest Link (UK 2000).
Le retour offensif des formats des années 80 : Wheel of Fortune (USA), Familiy feud (USA), The Price is Right (USA).
L'importance prise par les jeux musicaux, fonctionnant sur le principe du karaoké : The singing Bee (USA 2007), Don't Forget the Lyrics (USA 2007), Sing.A.Long (Suède 2006)
L'appel croissant, d'inspiration japonisante, à la force physique : I Survived a Japanese Game Show (USA 2008), Wipeout (USA 2008), Men Cram School for Laughters (Japon 2008).
La prégnance croissante des jeux d'argent, dans un monde où - crise oblige - on aime se rêver millionnaire, à défaut de l'être : National Bingo Night (USA 2007), Power off 10 (USA 2007), Set for Life (UK 2007), Rico al Instante (Espagne 2009), The Colour of Money (UK 2009).
La simplification extrême des règles qui permet de rassembler des téléspectateurs de 7 à 77 ans. Puisque gagner de l'argent devrait être à la portée de tous, les jeux misent sur des concepts simples tels que dans Pretty Smart (Pays-Bas 2009), The Cube (UK 2009), Ba Ba Boom (Brésil 2009).
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