M Insights, Le dossier - Les grandes tendances TV mondiales en 2024-2025 : entre héritage, innovation et stratégies d’évasion
M Insights, Le dossier, c'est chaque mois un article de fond issu des résultats de nos études, de nos analyses et de nos expertises pour une compréhension toujours plus fine des tendances du marché, un éclairage et un décryptage de l’évolution des comportements médias des Français.
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En 2024, le paysage TV mondial a été empreint de continuité et de rupture. L’outil de veille Nota (New on The Air) de Glance, qui suit les nouveaux lancements dans 48 territoires, met en lumière les récits, formats et stratégies de programmation qui façonnent les écrans de demain. De la montée en puissance des héroïnes invincibles à l’essor du divertissement de marque, retour sur les tendances majeures qui définissent la télévision contemporaine.
Fiction : des récits ancrés dans leur époque… ou en rupture totale avec elle
Un monde impitoyable, des femmes invincibles
L’une des tendances les plus saillantes qui s’illustre à l’export est la mise en avant de figures féminines. En 2024, les deux séries les plus exportées mettent en scène des personnages féminins très affirmés et déterminés : Elsbeth (États-Unis), spin-off de The Good Wife, portée par une héroïne anticonformiste et brillante, et Maxima (Pays-Bas), biopic de l’épouse du roi des Pays-Bas, entre conte de fée contemporain et portrait d’une femme influente.
Xavier Rambert, Responsable études et marketing produits de Glance, analyse cette tendance : « Ces deux récits très différents sont centrés sur des femmes fortes et affirmées, qui rencontrent un large écho international. Cette tendance amorcée se confirme avec d’autres projets dans lesquels des personnages féminins endossent des rôles habituellement réservés aux hommes à la télévision ; elles sont d’autant plus puissantes qu’elles sont plongées dans des univers hostiles ».
Ces héroïnes, loin des clichés, dominent les intrigues et séduisent les publics à travers le monde. Queen of Fucking Everything (Finlande) en est un exemple emblématique : cette série, qui raconte l’ascension criminelle d’une agente immobilière sur fond de satire sociale, a boosté les audiences de +61 % au-dessus de la moyenne de la chaîne. De son côté, The Tale of Lady Ok (Corée du Sud) a quadruplé les performances de sa chaîne grâce à une narration audacieuse mêlant drame historique et empowerment féminin.
Regarder le passé pour refléter le présent ou s’en échapper
Dans un contexte mondial anxiogène, de nombreuses fictions choisissent de se tourner vers le passé. C’est le cas de Whiskey on the Rocks, série de fiction la plus regardée de 2024 en Suède, qui revisite un incident diplomatique de la guerre froide tout en dressant un parallèle critique avec le climat géopolitique actuel. D'autres séries, comme la très attendue Merteuil (France), proposent une forme d’évasion esthétique en replongeant dans des univers fastueux, tout en conservant un propos social fort sur les luttes de pouvoir et l’émancipation.
Ces élites que nous adorons détester
Une autre tendance marquante : la fascination ambivalente pour les élites, qu’elles soient économiques, politiques ou numériques. La part des séries abordant le monde des affaires ou des riches a connu une hausse de 16 % en 2024. Los Casablanca (Chili), qui reprend les codes des télénovelas, et Live (Koweït) incarnent cette veine, oscillant entre critique sociale et attraction voyeuriste. Dans Live, les influenceurs deviennent les jouets d’un ravisseur en quête d’audience, soulignant les dérives du spectacle de soi.
Divertissement : entre recyclage et innovations
Un océan de formats… déjà vus
L’année 2024 a confirmé le règne des adaptations. Les formats étrangers continuent de dominer les grilles, notamment au Royaume-Uni (80 adaptations), en Suède (70) et aux Pays-Bas (43). Les émissions cultes renaissent, comme La Roue de la Fortune ou Jeopardy, portées par un engouement nostalgique.
Le branded entertainment : financer autrement, raconter différemment
Face à des budgets contraints, le divertissement de marque s’impose comme une réponse innovante. Ce genre hybride, qui associe production de contenus et objectifs publicitaires, connaît un essor rapide.
« Le "branded entertainment" représente une opportunité unique pour les annonceurs et les producteurs : les marques peuvent associer leur image à des contenus attractifs et adaptés à l’image de marque et les producteurs bénéficient d'un financement complémentaire » souligne Xavier Rambert.
En Espagne, Encuentros Con Sabor, compétition culinaire sponsorisée par la célèbre marque de bière Mahou, a su séduire un large public. Mais c’est Celebrity Send Off (Royaume-Uni) qui retient particulièrement l’attention : diffusée sur la chaîne YouTube et la plateforme de vidéo à la demande de Channel 4, l’émission où des proches de célébrités organisent leurs funérailles fictives marie humour noir, sujet tabou et storytelling de marque, avec le soutien de l’entreprise de pompes funèbres Co-op Funeralcare.
L’essor inattendu des jeux de société adaptés à l’écran
La surprise vient aussi du monde ludique. Adaptations de Scrabble, Pictionary aux Etats-Unis ou encore du jeu 10/10, Combien tu te mets ? en France, ces émissions exploitent l’engouement croissant pour les jeux de société, porté notamment par les plateformes numériques et des événements grand public comme le Festival International du Jeu à Cannes. Les Pays-Bas adaptent des "jeux d'ambiance" aux règles très simples. Pour faire suite aux bons résultats de 10/10 Combien tu te mets ?, deux autres adaptations de jeux de société sont annoncées pour la rentrée sur TF1 : Focus et Bataille Navale.
Talpa, figure de proue du divertissement aux Pays-Bas, a lancé l'été dernier le format 30 seconds basé sur un jeu de société, animé par Johnny De Mol. Xavier Rambert le décrit comme « bon enfant, très rythmé, profitant de son gameplay extrêmement simple ». 30 Seconds a rencontré un vif succès, notamment auprès des jeunes adultes, avec +78% d’audience sur les 20-34 ans.
Dans un registre plus complexe, Chess Master au Royaume-Uni a augmenté la part d’audience des jeunes adultes de 65%, preuve que la nostalgie ludique et l’interactivité peuvent rajeunir le genre du jeu télévisé.
« On observe un regain d'intérêt pour les échecs chez les jeunes générations, grâce à des plateformes comme Chess.com et des séries comme Le Jeu de la Dame », poursuit Xavier Rambert. « D’autre part, certains événements live ont rencontré un vif succès comme l'Inoxtag Cup en France en mars 2025, suivie par des milliers de spectateurs en direct et enregistrant près de 2 millions de vues sur YouTube. »
Contrairement aux formats plus nouveaux, les échecs font partie du patrimoine immatériel, ce qui ouvre la porte aux adaptations de jeux nostalgiques ou jeux d'enfance : The Hiding Game, qui s’inspire du jeu de cache-cache, a été lancé en Norvège en octobre dernier et en France un projet de jeu de "chaises musicales" est prévu pour la fin 2025 ; un autre est en développement en Espagne.
Une géographie mondiale de l’export télévisuel
Sur le plan des exportations de formats unscripted, trois pays dominent clairement le marché en 2024 : en tête, le Royaume-Uni, suivi des États-Unis, puis des Pays-Bas. Cette hiérarchie reflète à la fois la richesse des catalogues de formats (notamment de divertissement) et la capacité de ces pays à créer des récits à forte valeur universelle.
Nota révèle un paysage audiovisuel en mutation : entre continuité formelle - adaptations, recyclage des formats -, recherche de financement alternatif avec le branded entertainment, et nouvelles écritures portées par des récits engagés ou introspectifs. La télévision mondiale, en 2024-2025, explore de nouveaux chemins pour capter l’attention d’un public toujours plus exigeant, et souvent en quête de sens ou d’échappatoire.
Laure Osmanian Molinero
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