La vidéo en ligne questionne l’exploitation des films

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Piratage, achat à la demande ou par abonnement à des services en ligne bouleversent la chronologie d’exploitation du cinéma, de la sortie d’un film en salle, puis en DVD à son arrivée sur les écrans TV

La tendance dans le monde est à raccourcir la période d’exclusivité de chaque fenêtre, et à expérimenter. En France, on s’interroge encore.

La tendance générale est au raccourcissement de toutes les fenêtres. La distribution des films s’adapte et exploite les nouveaux modes de consommation multi-écran des films.

Faut-il sortir les films simultanément en salles, en vidéo à la demande (VàD), et en DVD ? Faut-il raccourcir les délais entre les différentes fenêtres d’exploitation, inverser leur ordre, pour répondre à l’impatience d’un public qui veut « tout, tout de suite » et parfois se tourne vers le piratage s’il ne trouve pas ce qu’il cherche sur un site légal ? Et quelles sont les conséquences, en termes de recettes, de fréquentation des salles, d’audience de la télévision, d’un bouleversement de la chronologie, dite chronologie des médias, dont on débat en France ?

Après avoir étudié, dans le cadre d’un Hotpspot(s) comment s’opérait le choix du public français entre les différents écrans qui s’offrent à lui pour visionner un film, Médiamétrie s’est penchée sur les différentes pratiques dans le monde en matière de chronologie des médias.

La chronologie n’est pas réglementée partout

Premier constat : tous les pays n’ont pas de règles contraignantes en la matière et l’Europe elle-même est contrastée sur le sujet.

La France fait partie, avec l’Allemagne, la Belgique, le Portugal, la Grèce, le Luxembourg, l’Autriche, la Hongrie, la Roumanie…, des pays européens qui ont des dispositions législatives à ce sujet.

Le but est de préserver pour l’exploitation d’un film des périodes d’exclusivité à chacun des différents écrans qui contribuent à l’économie du cinéma, à commencer par la salle, pour y maintenir la fréquentation, puis le DVD et la VàD qui bénéficient d’un temps d’avance sur les chaînes de télévision, en empêchant qu’un opérateur cannibalise l’autre.

En Allemagne et en Autriche, les délais d’exploitation des films produits avec des aides publiques sont réglementés (par exemple en Allemagne, le délai est de 9 mois après la sortie salle pour la VàD à l’acte et la VàD par abonnement – la Subscription Video on Demand ou SVOD -, avec des dérogations à 6 mois).

Le Portugal est dans une situation hybride : la chronologie des médias est encadrée par un décret datant de 2006, mais les délais peuvent être modifiés par des accords entre ayants droits et diffuseurs, et la fenêtre VàD se négocie au cas par cas.

En France, la réglementation échelonne les modes d’exploitation d’un film comme suit : sortie en salle, 4 mois plus tard sortie en DVD (vente et location) et VàD payée à l’acte ; 10 mois après, diffusion sur les services de cinéma *, avant la télévision gratuite (30 mois), puis la vidéo en ligne par abonnement (SVOD) 36 mois après, et enfin, 48 mois plus tard, la vidéo en ligne par abonnement gratuite.

C’est la dernière révision de cette réglementation en 2009, qui a réduit de 12 à 4 mois le délai de sortie DVD, et aligné à 4 mois la fenêtre VàD. Elle a également raccourci de 12 à 10 mois la fenêtre des services de cinéma, sans éviter le retrait du film des offres de VàD à la carte, pendant la période d’exclusivité de ces chaînes. Une « fermeture » de fenêtre temporaire, mais que le public comprend mal.

Le débat est vif sur le sujet entre les différents intervenants : exploitants de cinéma, chaînes, plateformes en ligne…

Le rapport Lescure, remis à la ministre de la Communication en mai 2013, préconisait un nouveau raccourcissement à 3 mois après la salle, de la fenêtre VàD/DVD. Quant à la SVOD, elle viendrait s’intercaler entre télévision payante et gratuite, à 18 mois. Des propositions récemment reprises par le CSA.

Un autre groupe de pays laisse la chronologie s’établir de gré à gré et au coup par coup, par les négociations entre ayants droits et distributeurs.

C’est le cas des Etats-Unis, et aussi du Royaume-Uni, de l’Espagne, la Suède, le Danemark, la Pologne, les Pays-Bas, la Norvège, la Finlande, ou encore de l’Italie qui a annulé en 2005 sa réglementation sur la chronologie des médias.

Les usages n’en respectent pas moins jusqu’ici des délais et un ordre : salle, DVD, VàD, Télévision. La SVOD, nouveau mode d’exploitation, s’intercale dans cette suite, différemment selon les pays.

Ainsi aux Etats-Unis, le délai classique entre la sortie d’un film en salle et sur DVD est passé de 6 à 4 mois (comme en France). Et l’écart entre la sortie DVD et VàD a quasiment disparu depuis 2011. Les studios proposent leurs blockbusters en VàD dès leur mise en vente en DVD (comme le dernier Harry Potter). Toujours en 2011, certains studios ont également proposé leurs films en VàD 60 jours seulement après leur sortie en salle sur le service « premium » Home Premiere de DirecTV. L’objectif est de développer l’offre légale de téléchargement, et l’industrie du cinéma à domicile, pour générer de nouveaux revenus.

Le succès de l’offre de SVOD Netflix, Netflix Instant Streaming, qui a conquis près de 32 millions d’abonnés payants aux Etats-Unis, propose surtout des films de catalogues, mais aussi des films en première fenêtre de SVOD. Les délais de disponibilité très variables sont en moyenne de 1 an après leur sortie salle. Quant au service originel de Netflix, la location de DVD physique, les films y sont généralement proposés 5 mois après leur sortie en salle, soit un mois après la mise en vente du DVD.

L’Inde et la Chine forment un troisième groupe. Bien que très différents, les deux marchés sont portés par des entrées en salle massives, à l’échelle de leur population, et pour l’Inde par l’ancrage de cette pratique dans la culture.

Sans être réglementée, la chronologie est assez resserrée : en Chine, 2 à 4 semaines après la sortie salle pour la VàD, entre 2 et 6 mois en fonction du succès pour la télévision payante (une grande majorité des DVD vendus étant piratés) ; en Inde la fenêtre PayTV/DVD intervient 2 mois après la sortie cinéma mais peut être négociée, la fenêtre VàD varie selon le succès du film en salle. De nouveaux services de vidéos en ligne s’y multiplient depuis 2012.

Expérimenter pour s’adapter

Dans les pays où il n’existe pas de réglementation contraignante, les distributeurs expérimentent de nouvelles chronologies d’exploitation des films.

Ils jouent volontiers sur la fenêtre de Vidéo à la demande. En mettant un film en ligne avant même sa sortie en salle, ils en font un outil marketing, moins coûteux qu’une campagne dans les médias traditionnels et générateur de revenus. C’est notamment le cas aux Etats-Unis, sur des films étrangers indépendants, qui ne sortent que sur un nombre limité d’écrans de cinéma. Ainsi Melancholia de Lars Von Trier, a été mis en ligne 1 mois avant la sortie salle en mai 2011 (on appelle cela « l’Ultra-release » ou « Ultra VoD »). Il a généré 3 millions de dollars de recettes en salle et 2 millions en DVD. Dans ce cas, cette fenêtre VàD anticipée n’a pas cannibalisé les autres.

Bachelorette, film indépendant avec Kirsten Dunst, Isla Fishet et Lizzy Caplan, a fait l’objet d’une sortie en Ultra VoD et d’un dispositif intéressant, décrit dans le blog Digital Home Revolution. Le film avait été acquis pour 2 millions de dollars en janvier 2012 au Festival de Sundance, par le label des frères Weinstein RADiUS. Il est mis en vente en VàD, le 10 août 2012 au prix de 9,99 dollars sur iTunes puis sort en salle le 7 septembre dans 47 salles, tandis que la fenêtre VàD est maintenue au prix de 6,99 dollars chez tous les distributeurs : Comcast, Amazon etc… Le DVD sort entre novembre 2012 et la fin de l’année, puis le film est en exclusivité sur Netflix, en SVOD en 2013.

En octobre 2012, selon le blog Digital Home Revolution, la VàD avait rapporté plus de 5 millions de dollars contre à peine 500 000 pour la salle. Difficile d’en tirer une règle selon laquelle une sortie VàD anticipée génère plus de recettes que la salle. Mais ici, ce fut le cas.

D’autres expérimentent la sortie simultanée, la « VOD day-and-date ». Le distributeur Magnolia a fait l'expérience d'une sortie simultanée, en salle, en VàD et même pour la 1ère fois en location sur Facebook le 20 avril 2012, du documentaire Marley où le film a reçu 1 million de « like ».

A l’inverse, une sortie VàD rapprochée d’une sortie salle réussie n’est pas un gage de succès. Disney l’a appris au Portugal en 2010. Les ventes en ligne du film Raiponce y ont été décevantes, comparées à son record en salle : 4 millions de dollars de recettes, soit une des plus grosses sorties de 2010 au Portugal, et à l’audience recueillie à la télévision le soir de Noël 2012 sur la chaîne SIC où il a enregistré une part d’audience de 36,9% (contre 25,4% en moyenne pour cette case).

La télévision avant la salle

Si la salle reste de l’avis général, le lieu qui donne sa légitimité à un film, on a vu en 2009, un film produit pour la chaîne Arte, La Journée de la Jupe, avec Isabelle Adjani, sortir en salle, 5 jours après la diffusion télévisée. Les 40 000 entrées générées lors de sa première semaine d’exploitation dans moins de 50 salles n’ont pas empêché Arte de multiplier par 3 la part d’audience de sa case le soir de sa diffusion sur la chaîne, avec 2,2 millions de téléspectateurs. Au total, le film a attiré 155 000 spectateurs en salles.

Cette expérience déjà ancienne, qui avait provoqué une levée de boucliers des exploitants, n’a toutefois pas été renouvelée. « On demande aujourd’hui aux producteurs de choisir entre diffusion télé ou exploitation cinéma » a précisé Agnès Lanoë d’Arte France, lors de la présentation du Hotspot(s) de Médiamétrie.

Même un film comme L’Image Manquante de Rithy Panh, aux qualités « cinématographiques » incontestées, primé dans la section Un certain Regard à Cannes en 2013, doit patienter après sa diffusion sur Arte en octobre 2013 pour une sortie cinéma.

D’autres expériences déclinent un projet en l’adaptant sur différents formats : à la fois en mini-série TV et long métrage cinéma. Ce fut le cas en 2010 de Carlos ou de Millenium : à chaque fois, Canal+ a diffusé les 6 épisodes avant la sortie des versions longs métrages.

Avec le film Tricked, aux Pays-Bas, on a affaire à un projet multi-plateformes mêlant cinéma, télévision et réseaux sociaux. Le film se base sur les scripts, idées et auditions des participants de l’expérience. Le making of du film a été exploité en reality show sur la chaîne hollandaise Veronica, sans remporter un énorme succès.

Toutes ces expériences illustrent le rôle de vitrine promotionnelle que peut jouer la télévision avant la sortie salle.

Une sortie simultanée sur tous les écrans assure une visibilité maximale, comme on l’a vu avec Home, le film de Yann Arthus Bertrand, lancé gratuitement sur YouTube, 10 jours avant sa sortie simultanée dans plus de 100 pays, à la fois au cinéma, à la télévision et en DVD dans le cadre de la Journée mondiale de l'environnement le 6 septembre 2009.

En France, il a recueilli plus de 8 millions de téléspectateurs sur France 2, 40 000 entrées le premier jour en salles, et 124 000 au total. Le succès a aussi été au rendez-vous au Portugal, en Allemagne, en Belgique … Toutefois, tant par son objectif – sensibiliser le plus large public – que par son mode de financement, basé sur du mécénat d’entreprises, l’économie du projet n’est pas celle d’un film classique.

Des expérimentations européennes

Il est cependant clair que la révolution numérique exerce une pression incontestable sur la chronologie des médias. L’arrivée déjà attendue, y compris en France, de nouveaux opérateurs qui pourraient s’affranchir des règles nationales, comme Netflix, inquiète.

On observe des assouplissements et le raccourcissement des délais est parfois admis, même dans les pays où la chronologie est réglementée.

L’Union Européenne, à travers le programme Média, contribue à financer trois expérimentations : the TIDE Experiment, Speed Bunch et Edad, dans le cadre de son action sur la circulation des films en Europe à l’ère numérique. The TIDE Experiment est un groupement composé de différents acteurs de la chaîne de distribution des films. Son objectif en 2013 est de sortir quatre films, chacun dans plusieurs territoires européens, en utilisant « Day-and-date » (sorties simultanées ou quasi-simultanée en salle et en VàD). L’expérience porte sur une vingtaine de films d'art et d'essai dans neuf pays dont la France où elle est pilotée par la Société civile des auteurs-réalisateurs-producteurs (ARP). Elle a déjà bénéficié à deux films dont le documentaire musical Viramundo : A musical journey with Gilberto Gil réalisé par Pierre-Yves Borgeaud, qui a été à l’affiche en France, Belgique, Irlande, Italie (Nomad), Lituanie, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, Portugal et Royaume-Uni, entre avril et juillet 2013.

Dans le même esprit, la plateforme Dailymotion a mis en ligne à l’automne 2012, deux films deux jours avant leur sortie en salle : Les Paradis artificiels, du Brésilien Marcos Prado, et Nuit#1, de la Canadienne Anne Emond. L’opération réalisée en association avec Eye on Film (EoF), réseau de distributeurs et festivals, spécialisés dans les premiers et deuxièmes longs métrages, était là aussi soutenue par la Commission européenne dans le cadre de Media Mundus, programme de coopération sur l’audiovisuel avec les pays non européens.

Malgré tout, on le voit, ces expériences ne touchent pas encore le cinéma « mainstream », celui qui est encore le plus souvent piraté.

Sahar Baghery

Responsable d’Etudes, Eurodata TV Worldwide

* services de télévision dont l'objet principal est la programmation d'œuvres cinématographiques et d'émissions consacrées au cinéma et à son histoire, et faisant l'objet d'un abonnement spécifique

Sources : Correspondants Eurodata TV / Médiamétrie / Observatoire européen de l’audiovisuel / http://variety.com / http://blogs.indiewire.com / http://www.hollywoodreporter.com / Allo ciné / www.zdnet.fr / http://mediamerica.org

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